Olivier Blanckart, Les Merdhumanités


Olivier Blanckart, Les Merdhumanités
Courtesy : Olivier Blanckart

 

La MERDLHUMANITÉ est apparue dans des crottes préhistoriques. (Une des plus grandes énigmes de l’histoire humaine enfin élucidée)

 

Les plus anciennes représentations de formes humaines en volume qui nous soient parvenues remontent à la préhistoire et consistent en des entités féminines.

 

Les attributs plastiques qui permettent de caractériser la féminité de ces formes sont si excessivement apparents, que les préhistoriens les ont qualifiées de "Vénus". Cependant, toute comparaison avec la statuaire grecque s’arrête à ces emprunts de nom.

 

D’abord, ces « Vénus » sont de très petites dimensions : quelques centimètres et bien qu’il s’agisse d’œuvres taillées et non de modelages, on n’y sent pas cette force de jaillissement triomphant propre aux œuvres en taille directe. Au contraire leur topologie évoque étonnement les formes moulées et lourdes… des étrons.

 

On ne peut exclure, que des représentations d’entités féminines aient été modelées par les humains de ces époques. Cependant leur fragilité n’a probablement pas permis leur conservation. On connaît quelques exemples de modelages qui prouvent que la technique était connue et pratiquée—ainsi que l’a encore révélé récemment la grotte Cosquer— mais il s’agit toujours de représentations d’animaux dont le style nous apparaît sommaire, du moins si on le compare avec la perfection d’exécution technique et artistique qui caractérise les peintures rupestres du Magdalénien. Pourquoi donc une telle différence de « qualité » entre les sculptures et les peintures ? Pourquoi des femmes plutôt que des hommes ? Pourquoi ces formes scatoïdes stylisées au lieu d’anatomies précises ?

 

La révélation de l’explication m’est venue alors que je pensais réaliser un hommage à l’artiste Gérard Gasiorowski et sa fameuse série des "tourtes" réalisées avec sa propre merde. Voulant intituler ce projet "La plus-vieille-œuvre-d’art-contemporain du Monde", je me mis en quête de merdes fossiles que les scientifiques appellent plus proprement "Coprolithes". Le problème de la plupart des coprolithes, en tout cas pour l’usage que je souhaitais en faire, est qu’elles sont généralement de forme aplatie et donc insuffisamment évocatrices visuellement à mon goût. Toutefois, je finis par trouver dans une échoppe spécialisée des étrons parfaits : des spécimens tellement réalistes qu’on aurait pu croire que c’étaient des gadgets de farces et attrapes. Il s’agissait de coprolithes de tortues remontant au Myocène. Leur perfection était due au fait que les amphibiens fréquentent l’eau ou la vase et y évacuent donc aussi leurs excréments. Certaines circonstances géoclimatiques ayant été réunies, les étrons que j’avais trouvés avaient pu commencer à se fossiliser il y a environ 25 millions d’années en leur état de forme initiale.

 

Ce qui était immédiatement frappant c’était que leur forme évoquait fortement celle des Vénus préhistoriques. En effet, à la différence des étrons lâchés sur un sol ferme qui s’avachissent plus ou moins côniquement sous leur propre masse, quand ils ne sont pas tout simplement disloqués par la force de leur chute, (l’effet bouse) les étrons lâchés dans la vase par les tortues sont affectés moins brutalement par la gravité terrestre : des forces d’atténuation sont réparties par le milieu aquatique dans toutes les directions. Aussi bien donc, la mémoire exacte des étapes de leur excrétation a pu être conservée dans la forme des fossiles : au commencement du colombin, forme conique fine, grumeleuse, et compactée par le séjour prolongé dans le vestibule cloacal soigneusement fermé. Ensuite, forme cylindrique régulière du colombin augmentant progressivement de diamètre, puis, forme culminante de gros diamètre, massive et circonvolue, de la masse fécale principale libérée très rapidement par le cloaque dilaté au maximum, et diminution brusque, enfin, du diamètre et de la masse rapidement terminée en cône pincé par la rétraction spasmodique du cloaque soulagé, comme tirebouchonné en houppette terminale au sommet de la masse principale de l’étron. A l’inverse des déesses bien nées les étrons viennent donc par les pieds, mais en tout état de causes, la disposition morphologique générale des « Vénus » des cavernes se trouve à peu près correctement figurée.

 

Chez les humains, la constitution sexuelle survient à l’adolescence selon deux modes différents pour les hommes et les femmes. Pour l’homme les modifications sont assez peu spectaculaires : il s’agit essentiellement de renforcements morphologiques. Plus grand plus fort. La seule "nouveauté" spectaculaire, étant l’apparition des poils durs, sur le visage la poitrine et les zones génitales. Ce qui peut expliquer que les représentations du principe masculin se résument le plus souvent à des symboles phalliques simplifiés pour ne pas dire rudimentaire : poteaux, ustensiles phalloïdes. Un registre de formes et de référents aussi limité que répandu symbolisant le phallus et l’érection. Le principe masculin peut se résumer à cette seule figure aussi hypertrophiée qu’elle est simple et presque abstraite. .

 

La constitution physique des femmes, s’accompagne en revanche d’ un changement de formes spectaculaire. L’apparition de la poitrine des hanches et des fesses plus ou moins proéminentes sont des signes très évidents visuellement. C’est encore par un changement de formes que se manifeste par la suite la fertilité des femmes, l’arrondissement et l’augmentation du ventre. C’est, enfin, par la production d’une forme sortie d’elle, que se manifeste, dès le premier instant, l’accomplissement de la fonction maternelle. Le nouveau-né sort, masse informe, forme repliée qui se déploie. Tout cela est tangible et possède épaisseur dimension et durée. Par comparaison l’instrument simpliste et de dimension limitée de la fertilité masculine n’est un cyclope aveugle et manchot qui émet par petites quantités une substance incertaine de forme et d’aspect, un principe abstrait, une promesse tout au plus. Lucide, Valéry avait d’ailleurs noté avec humour dans ses Mauvaises pensées et autres que "La noblesse est une propriété mystique de la liqueur séminale".

 

Seuls les morts ne chient plus : naissance de la sculpture La sculpture, est avant tout une question de forme en volume. Et la forme en volume est d’autre part l’apanage originel de la femme comme on l’a vu.

 

Il était donc fatal que le sculpteur primitif n’eut d’autre choix pour réaliser les premières sculptures, que de prendre un double modèle formel. Celui de la femme, comme prêtresse de la forme, celui de la merde comme signature formelle reliant tout le règne vivant : femme-hommes-bêtes à égalité communient et communiquent symboliquement et territorialement par la production de leur merde-forme. Seuls les morts ne chient plus.

 

Ainsi devine-t-on que le sculpteur primitif était tout à la fois une artiste expressionniste conceptuel et humaniste. À travers ces « Vénus » outrageusement stylisées : gros ventre gros seins mais sans pieds, il traite de la question sculpturale en soi. Par là il se révèle conceptuel. À travers les formes imitées de la merde il traite d’une forme universelle comme produit-signe de tout vivant. Par la il se révèle expressionniste. À travers la figure de la femme enfin, il traite d’un Autre énigmatique. Et le célèbre. Par là il se révèle humaniste.

 

Ainsi donc se trouve enfin élucidée une des plus grandes énigmes de l’épopée humaine. Ces figures, contrairement à ce qui a pu être supposé par de pseudo-savants, ne sont donc ni des déesses ni des figures de fécondité, mais tout simplement des figures de fertilisation créées par des artistes-hommes.

 

Jamais en effet des femmes n’auraient consenti à se représenter elles-mêmes de manière aussi grotesquement merdeuse, et pour certaines d’entre elles parées d’aussi peu de bijoux…

 

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